L'AUTRE ZOO, LA NUIT

La saga d'un été

2006-08-01

CHAPITRE 4

Trois rescapées

Je sais, mon amie, je suis très mal faite, comme on dit souvent. Sans vraiment réfléchir, j’avais donc pris la décision de prendre soin de maman de façon désintéressée, tout le temps qu’il le fallait en attendant je ne sais trop quoi, sans rien attendre d’elle en retour, ni biens personnels ni héritage. Même si elle en avait eus! Va donc, toi, tenter d’expliquer ça aux gens égoïstes, individualistes, avides et cupides …!

C’est que, et je ne saurais te dire pourquoi, j’ai pitié de toutes ces femmes âgées, faibles ou malades, sans instruction, sans défense, qui dépendent de la pension du gouvernement fédéral, donc vivant sous le seuil de la pauvreté, à la merci de tous les technocrates, empathiques ou non, et surtout de tous les profiteurs, y compris leurs propres enfants. Ces femmes, j’espère qu’elles passeront, sans escale par le purgatoire, directement de cette terre au paradis. N’est-ce pas le cas de maman?

Ce matin-là, ma sœur montait devant, et moi derrière. Entre nous deux, maman grimpait péniblement, une à une, en cherchant son énergie à chacune des 21 marches qui menaient à mon appartement. Laisse-moi te dire que nous n’étions pas fâchées, lorsque nous avons enfin refermé la porte derrière nous. Nous avions l’air d’un équipage, qui après avoir essuyé une grosse tempête en mer débarquait d’un bateau qui rentre au port.

Une fois après avoir repris notre souffle et retrouvé nos sens, puis s’être un peu réconfortées mutuellement l’une l’autre, j’ai finalement installé maman dans ma chambre. J'ai bien sûr vérifié aussi le cathéter qu’on lui avait fixé sur la cuisse. Quant à ma sœur et moi, on a fini par s’endormir toutes les deux dans le salon. Il était 9 h, lorsque la vie, ce jour-là, a repris son cours.

Ah! mon Dieu, mais oui, les antibiotiques! En vacances, l’autre de mes sœurs, Lorraine, s'est portée volontaire pour aller à la pharmacie. À son retour, nous avons appris que les antibiotiques prescrits par le médecin de garde, à l’urgence, n’étaient pas compatibles, avec trois des médicaments que prenait déjà maman, dont son Coumadin. En clair, cela signifiait que cet antibiotique aurait donc pu la TUER …!

Or, tous les pharmaciens de cette pharmacie, située juste à proximité de sa résidence, connaissaient maman (et son dossier de médicaments) comme Barrabas dans La Passion! Paraît-il qu'ils ont dû consulter son médecin de famille afin que ce dernier lui prescrive un autre antibiotique.

C'est alors que plusieurs questions ont brusquement surgi dans mon esprit. D’abord, jusqu’à quel point le médecin de garde, à l’urgence, cette nuit-là, avait-il erré en laissant sortir une vieille dame de quatre-vingt-cinq ans aussi souffrante? Puis, pire encore, comment avait-il pu ainsi se tromper en prescrivant des antibiotiques inadéquats, alors qu’en nous présentant à l’urgence la veille avec elle, nous avions remis la liste complète de tous ses médicaments?

Des erreurs médicales, il s’en produit tous les jours. Tout le monde sait ça. D’ailleurs, s’il y a un milieu, où la devise devrait se lire comme suit : « L’erreur est humaine et celle d'un médecin peut être fatale », c’est bien le milieu médical, en général, mon amie. J’étais très choquée de l’éthique de ce médecin, en particulier.

Mais comment pouvais-je blâmer tout un hôpital, vu que j’avais été fort impressionnée quelques années auparavant, alors qu’au même endroit, on avait sauvé maman d'une mort certaine? Mais tu comprendras, mon amie, que j’avais bien d’autres préoccupations, plus accaparantes et plus pressantes, que de chercher vainement des réponses à mes questions. Je remettais donc tout ça à plus tard.

D’abord, seulement la gérance des médicaments de maman devenait, d’événement en événement, tellement difficile, voire même complexe, qu’il m’aurait fallu suivre des cours du soir pour m’y comprendre. À tout le moins, j'ai commencé par établir une liste afin de ne rien oublier.Puis, il y avait bien sûr son fameux cathéter-cuisse (de jour) que je devais surveiller de sorte qu’il ne refoule pas dans la sonde. L’infirmière avait eu beau m’avoir expliqué le principe de celui de nuit, j’avais des papillons dans l’estomac rien qu’à penser que j’aurais à le faire le soir même. Durant la journée, j'ai donc examiné attentivement son mécanisme en parcourant les instructions. J’apprends toujours plus vite par moi-même.

Enfin, il fallait aussi que je m’occupe, entre autres, de lui faire à manger et de faire sa toilette. J’avoue que sa visite éclair à l’urgence, la nuit précédente, n’avait rien changé du tout à ses douleurs. Elle avait toujours la même difficulté à se mouvoir et souffrait autant que la journée précédente. D’ailleurs, comme elle ne voulait plus dormir dans mon lit, ne pouvant plus en sortir par elle-même, elle avait essayé de dormir sur mon divan dans le salon, pour finir la nuit carrément assise dans un fauteuil. Bref, je ne savais plus quoi faire avec elle.

Pour la laver, par exemple, elle me suppliait d’y aller doucement tellement sa peau lui faisait mal. Il a fallu que je m'y prenne avec les serviettes et débarbouillettes les plus douces que j’ai pu trouver dans ma lingerie. Pendant que je lui essuyais délicatement le dos et les bras, (mon Dieu, qu’elle avait maigri …!), elle m’a dit : « Tu aurais fait une bonne infirmière, ma fille! »
En effet, depuis longtemps, maman avait toujours rêvé que je devienne infirmière. Consciente ou non, aurait-elle présagé que je prenne soin d’elle dans ses vieux jours? On ne sait jamais avec les vieilles personnes de sa génération. Mais n’avait-elle pas également toujours eu une sorte de fascination pour les uniformes? En tout cas, dans son temps, quand c’était les sœurs … Si tu savais comme elle est scandalisée, aujourd’hui, de voir ainsi le personnel des hôpitaux porter des jeans et des espadrilles …?

À toi pour toujours,
May West

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