L'AUTRE ZOO, LA NUIT

La saga d'un été

2006-09-03

CHAPITRE 13

Accusé de réception

Mon amie, je me doutais bien qu’on m’enverrait un accusé de réception dans un court délai, d’autant plus que la dernière de mes attentes requérait « d’être mise au courant de l’évolution du dossier et des mesures prises pour éviter que de telles situations se reproduisent. »

Or, voilà, d’abord, dans un premier temps, ma plainte a été transmise pour examen au médecin examinateur désigné par le conseil d’administration de l’hôpital, qui la transmettra au professionnel concerné.

De même, dans le cadre de l’examen de ma plainte, le médecin examinateur pourra, s’il le juge nécessaire, prendre connaissance de tout renseignement ou document contenu dans le dossier de l’usagère. On m’assure également que les renseignements ainsi recueillis ne serviront qu’à l’examen de la plainte et que toutes les mesures requises afin d’en garantir la confidentialité seront prises.

En outre, dans un deuxième temps, je devrais recevoir les conclusions du médecin examinateur dans un délai de 45 jours. Enfin, si je ne suis pas d’accord avec ses conclusions, je pourrai toujours éventuellement adresser une demande de révision de ma plainte au président du comité de révision.

Encore un délai de plusieurs jours … ? Que m’importe, mon amie! Du moment qu’on prenne ma plainte au sérieux!

À toi pour toujours,
May West

2006-08-23

CHAPITRE 12

Plainte de premier recours

Mon amie, je n’ai pas l’impression d’avoir perdu mon temps, avant-hier, lors de ma première visite au CAAP – Laval. Bien au contraire, ayant été chaleureusement accueillie par la conseillère (une perle ...!) soit dit en passant, j’ai tout de suite compris qu’on allait prendre ma démarche au sérieux.

D'abord adressée à la commissaire locale aux plaintes et à la qualité des services, ma plainte en premier recours portant le numéro 1138 a été rédigée, et me parvenait dès le lendemain, c’est-à-dire, hier, par courriel pour fins d’approbation. Cette plainte concernait évidemment des aspects cliniques et professionnels à l’hôpital en question.

Puis, après un bref résumé de la situation, on pouvait y lire à la fin les attentes suivantes :

. Que des mesures claires soient établies afin d’éviter que d’autres personnes âgées, affaiblies et/ou souffrantes ne soient dans l’obligation de quitter l’hôpital en pleine nuit

. Que des mesures soient prises pour éviter que des médicaments soient prescrits à des patients alors qu’ils sont contre-indiqués dans leur situation

. Qu’une note soit inscrite au dossier du Dr ******** dénonçant son erreur (qui aurait pu être fatale)

. Être mise au courant de l’évolution de ce dossier et des mesures prises pour éviter que de telles situations se reproduisent.

Ce qu’il faut surtout retenir jusqu’à maintenant, mon amie, c’est que cet organisme ne fait pas partie du réseau et se dit favorable à l’usager.

Pour l’instant, mettons, que cela me rassure.

À toi pour toujours,
May West

2006-08-16

CHAPITRE 11

Histoire sans fin

Mon amie, lorsque j’ai signé le chapitre 10 de L’AUTRE ZOO, LA NUIT, le 9 août dernier, je croyais bien, à ce moment-là, avoir mis un terme à cette longue saga qui m’a tenue en haleine pendant presque tout l’été.

L’autre zoo, la nuit, avons-nous dit? À qui le dis-tu, mon amie? Rappelle-toi, cette nuit infernale que j'ai passée à l’urgence d’un hôpital régional, et que je t’ai décrite dans mes quatre premiers chapitres! N’était-ce pas - dans et de - cette nuit-là, que j’ai puisé toute l’inspiration et la motivation nécessaires à l’origine de cette interminable histoire?

D'ailleurs, ne t'ai-je pas dit quelque part dans mon chapitre 4, que je te reviendrais, plus tard, concernant l’incident des antibiotiques incompatibles avec trois médicaments que prenait déjà maman, et prescrits par l’urgentologue, cette nuit-là?

Toujours est-il que, maintenant que maman est relogée en sécurité et est bien entourée ; que son ancien appartement est vidé et nettoyé et qu’on n'attend plus qu’un grenier populaire vienne cueillir les choses qui peuvent encore servir; bref, que je commence à me décontracter et à mieux dormir, eh bien! voilà, nous y sommes, mon amie!

Tout ça pour te dire, enfin, que la saga n’est peut-être pas encore tout à fait terminée, j’ai bien peur. C’est que le 11 juillet dernier, ma sœur Lorraine m’avait remis un certain numéro de téléphone que je croyais avoir perdu depuis. Figure-toi, que je l'ai retrouvé dans mes affaires, ce matin! Je l’ai alors aussitôt composé.

Donc, après avoir brièvement fourni quelques détails croustillants ...! de l'affaire qui nous occupe, je t'annonce, mon amie, qu'à partir de là, un rendez-vous m'a été fixé pour lundi prochain avec une personne responsable afin d'y examiner le dépôt d'une plainte officielle. Compte sur moi, pour te tenir au courant de mes démarches!

À toi pour toujours,
May West

Si ce lien t'intéresse
CAAP (Centre d'assistance et d'accompagnement aux plaintes) - Laval

2006-08-09

CHAPITRE 10

La lumière au bout du tunnel (suite et fin)

La médecine d’aujourd’hui fait des miracles, mon amie. Je ne t’apprendrai rien en te disant qu’on arrive à remettre sur pieds, aussi bien les éclopés que les fatigués de vivre, les morts ambulants, les morts-nés, les bois-morts, sans oublier tous ceux et celles qui attendent qu’une place se libère au ... paradis.

Jusqu’à ce jour, je ne saurais te dire exactement dans laquelle de ces catégories j’oserais placer maman, mais plus coriace que ça, tu meurs! C'est qu’elle a du chien, notre acadienne de mère!

Après tout ce qu’elle a enduré, souffert et subi ces dernières semaines, voilà qu’elle s’est classée - pas assez mal en point ou trop bien portante – c’est selon, pour répondre aux critères d’admission en ce qui a trait aux soins et services fournis par le système. Donc, pas question pour elle d’être relogée dans un CHSLD (Centre d’hébergement de soins de longue durée).

Heureusement, mon amie, qu’il existe des résidences privées d’hébergement pour aînés autonomes ou en légère perte d’autonomie. On avait décelé des problèmes cognitifs chez elle, des pertes de mémoire surtout.

Bien sûr, c’est bien malgré elle, que maman en était rendue à cette étape-là. D’ailleurs, dans mon chapitre précédent, rappelle-toi, je t’ai mentionné ses tourments et ses nombreuses tergiversations. Pour elle, c’était comme de vivre ou de passer à travers un autre deuil.

Or, est-il nécessaire de te dire que dès sa sortie d’hôpital, il nous a fallu faire vite pour lui trouver une résidence privée d’hébergement. Si notre mère ne répondait pas aux critères des trois-heures-soins-par jour pour être admise en CHSLD, il fallait à tout le moins que cette résidence soit située à proximité de chez-moi et du reste de notre famille. Et aussi, que le paiement du loyer corresponde à ses revenus. Rien que ça, n’était pas une mince affaire!

Bref, pour te dire, mon amie, qu’après avoir exploré fébrilement partout aux alentours pendant près d’une semaine, le Ciel a eu finalement pitié de nous. Dans le même temps, on a appris qu’il restait trois places de disponibles à l’une des deux seules résidences situées dans notre municipalité.

Encore une fois, c'était le grand branle-bas de combat. Évidemment, rien que le fait de l'installer dans son nouveau chez-elle a demandé plusieurs jours d’effort et de solidarité de notre part. À cet effet, chacun et chacune a collaboré de son mieux, selon sa disponibilité et dans la mesure de ses moyens et de ses talents.

Merci donc, à ma sœur Diane, qui a passé toute une nuit (la fameuse nuit des longs … couteaux!) à l’hôpital avec moi!

Puis, à mon frère Roger et ma belle-sœur Francine pour leurs efforts lors du déménagement des meubles. Et encore et encore.

Aussi, à ma sœur Lorraine pour ses doigts de fée qu’elle a merveilleusement mis à contribution dans la décoration de la pièce.

À ma sœur Suzanne qui, de chez elle, en Floride, se morfondait et était de tout son cœur avec nous.

À Jules, l’ami de maman, pour sa bienveillance à son égard.

Enfin, à ma brune grisonnante, qui a patienté dans l’ombre pendant tout ce temps en me tenant par la main et en m’encourageant tous les jours. Puis qui m'a donné un grand coup de main à vider l'ancien appartement de maman, alors que j'étais au bord de l'écoeurement total ...

Et à toi, mon amie Deca, qui m’a permis de raconter cette longue saga que peut-être plusieurs autres de nos amies venaient lire de temps en temps.

Tout ça pour te dire, que ce matin, j'ai dormi jusqu'à huit heures moins quart. Cela ne m'était pas arrivé depuis des semaines. Tu parles!


À toi pour toujours,
May West

2006-08-05

CHAPITRE 9

La lumière au bout du tunnel (1)

Les sept vies de maman s’étiolent de fois en fois. En sommes-nous à sa sixième? Ou bien encore à sa septième? Enfin, peu importe. Laissons le Ciel s'occuper de ça!

Mais cette dernière fois, lui avoir sauvé la vie à mon tour, n’était-il pas un peu comparable au geste de la pompière qui sort des flammes, en tenant dans ses bras une victime d’incendie? En moins spectaculaire, bien sûr, puisqu'il s'agissait tout simplement de l’enfer du système.

Dans les premiers jours, prendre soin de maman a nécessité presque trois-quarts de travail. Comme tu sais, elle a beaucoup maigri et est devenue tellement fragile, que je n'avais pas le choix de m’inquiéter sans cesse pour elle. Oh certes, elle mangeait, mais à peine.

Par contre, son moral était bon. Elle acceptait maintenant, après mille et un tourments, le fait de quitter son appartement. D'ailleurs, plus sereine, elle entrevoyait désormais s’en aller vivre dans un endroit plus adapté à ses besoins. Là, où elle n’aurait plus à s’occuper, ni de ses repas, ni de ses médicaments, entre autres. Or, il nous restait maintenant à lui trouver ce nouveau havre de paix.

La chance nous a souri, mon amie! Enfin, on l’espère.

À toi pour toujours,
May West

2006-08-04

CHAPITRE 8

Le mal sournois

Retournons à lundi dernier, alors que dans la matinée de ce jour-là, on l’avait remise en quarantaine avec vingt-trois autres patients de l’hôpital. Encore quatre à cinq jours d'isolement et cela l'aurait fait mourir de ... déprime aiguë. Non. On n'allait pas la faire mourir ainsi! Il était peut-être 11 heures ou midi quand j'ai appris la nouvelle. Aussitôt, j’ai rejoint son infirmière au bout du fil.

- Est-ce que maman peut marcher?
- Oui.
- Est-ce qu’elle mange par elle-même?
- Oui.
- Est-ce qu’elle peut faire sa toilette toute seule?
- Oui.
- Est-ce qu’elle se débrouille toute seule aux toilettes?
- Oui
- Est-ce qu’elle a le C difficile?
- Les résultats indiquent toujours la négative.
- Prend-t-elle encore des antibiotiques?
- Non.
- Peut-elle obtenir son congé du médecin, aujourd’hui, par exemple?
- Je crois que oui.
- Alors, faites le nécessaire, parce que je vais la chercher d’ici 14 heures, avant qu’elle n’attrape toutes vos maladies …!
- Et où l’amènerez-vous?
- Chez-moi!

Aujourd’hui, mon amie, maman n’est plus à l’hôpital depuis maintenant une semaine. Disons qu’il s’en est fallu de peu pour que, la semaine dernière, nous n'ayons funéraillé gaiement autour de sa dépouille mortelle... !

Pour mieux comprendre la stratégie mesquine du système, allez, fais le calcul de ce qu’il en retourne en économies au trésor public ou privé (le nôtre ...) pour avoir gardé maman chez-moi en convalescence pendant huit jours …!

Je te reviens un autre tantôt.

À toi pour toujours,
May West

CHAPITRE 7

Le mal qui se répand (2)

Mon amie, notre société actuelle est un cas rare d’individualisme et de je-m’en-foutisme. Et pas à peu près! Je ne crois pas exagérer, en te disant qu'on s'énerve davantage d’apprendre le décès de quelques éleveurs de volailles de la grippe aviaire, en Malaisie ou en Thaïlande que de savoir que 269 Canadiens, dont 108 au Québec, sont morts en six mois, l’hiver dernier, des suites d’une infection au C. difficile contractée à l’hôpital .

Pourtant, le Clostridium difficile ou C. difficile est un mal qui se répand à la vitesse grand V dans nos hôpitaux. Mais à notre insu et insidieusement, on fait des mains et des pieds pour nous voiler coûte que coûte la terrible réalité. Pour te donner une idée de l’ampleur du phénomène, sur seize chambres au 2è Ouest, j’ai compté pas moins de cinq chambres affichant l’écriteau STOP ISOLEMENT pas plus tard qu’hier …! Consignes : en dire le moins possible s’avère la norme, les non-dits et surtout la langue de bois sont de rigueur.

En plus d’être un mal dont l’odeur commence à se faire sentir dans nos narines, et persiste même encore une fois de retour à la maison, le Clostridium difficile ou C. difficile est une bactérie dont l’infection est la plus communément répandue dans les hôpitaux et les établissements de soins de longue durée des pays industrialisés.

Les personnes en santé ne sont habituellement pas vulnérables au C. difficile. Par contre, les personnes qui ont d'autres maladies ou troubles qui nécessitent l'usage prolongé d'antibiotiques de même que les personnes âgées sont donc les plus susceptibles de contracter cette infection.

Si le cas de maman nous inquiète tant, en ce moment, c’est qu’elle présente exactement le profil requis: elle prend des antibiotiques et elle est âgée.

En outre, on estime que 20% des personnes hospitalisées contractent la bactérie. La bactérie C. difficile est présente dans les matières fécales. Une personne peut devenir infectée si elle touche des objets ou des surfaces contaminés par des matières fécales et si elle se touche la bouche ou les muqueuses.

Les travailleurs de la santé peuvent infecter d'autres patients ou contaminer des surfaces avec leurs mains. En temps ordinaire, les symptômes disparaissent lorsque le patient cesse de prendre des antibiotiques. Dans de rares cas, le C. difficile peut être mortel.

Néanmoins, une étude récente réalisée au Québec révèle qu'une souche plus résistante de la bactérie pourrait être présente dans les hôpitaux de la province.

Mais pourquoi cette bactérie frappe-t-elle deux fois plus au Québec qu’ailleurs au Canada? Aurait-on négligé de rénover ou d’entretenir nos hôpitaux au profit de ... l’Expo 67, des Jeux olympiques de 1976 et d’autres grands événements sportifs ou autres, dans lesquels on aurait englouti des milliards?

Il y a deux ans, le Dr. Pépin et ses collègues de l'Université de Sherbrooke étaient d’avis que plus de 1000 patients décéderaient des suites d'une contamination au Québec, cette année-là. Il a aussi estimé que la seule solution à long terme, était de rénover les hôpitaux afin que tous les patients disposent de chambres privées avec toilettes, ou au minimum de toilettes séparées, afin de limiter la contamination.

Enfin, il a également insisté sur le fait qu'il ne suffira pas de rappeler les mesures élémentaires d'hygiène au personnel médical pour régler le problème, mais qu'il faudra une réelle volonté politique.

Or, depuis ce temps, il faut croire, mon amie, que bien peu de choses ont été faites en ce sens au Québec, puisque maman est en isolement depuis maintenant cent soixante-huit heures et qu’elle le restera pour encore au moins cinq jours.

Pour elle, interdiction formelle de franchir le pas de sa porte de sa nouvelle chambre ... privée. Elle qui commençait à peine à prendre du mieux! Encore chanceuse qu’elle puisse recevoir de la visite! Même s’il faut revêtir cette affreuse jaquette jaune et enfiler des gants en latex …!

Toutes ces précautions sont nécessaires parce qu’on la soupçonne. Ne partageait-elle pas la même salle de bain que sa voisine de chambre du 243? Or, cette dernière a été déclarée positive justement dimanche dernier. Ah! quel merdier, mon amie!

À toi pour toujours,
May West

2006-08-03

CHAPITRE 6

Le mal qui se répand (1)

Quand on a la tête tellement remplie de tracas, d’inquiétude et de préoccupations, certes, on n’a plus le même goût ni le même intérêt pour ce qui se passe autour de nous. Encore moins, dans le monde en général.

Pour te donner un exemple, depuis plus d’une semaine, je ne suis plus capable ni de lire ni d’écouter les nouvelles. Bien sûr, j’ai évidemment pris quelque retard en ce qui a trait à la crise au Proche-Orient. Non pas que le fait d’être renseignée peut y changer quoi que ce soit, mais il n’est pas mauvais de se rappeler que le monde n’arrête pas de tourner sous prétexte qu’on a une mère malade à l’hôpital.

Ceci dit, en arrivant au 243-2, jeudi dernier, j’ai été fort impressionnée par la dimension de la chambre dans laquelle on l’avait installée plus tôt dans la journée. Maman occupait le lit près de la fenêtre. Elle avait une vue sur(prenante) sur le stationnement ... Au moins, elle pouvait voir les gens sortir et arriver.

Après le grand branle-bas qu’elle avait vécu depuis plusieurs jours, elle était presque contente d’être là. Sa voisine de chambre avait l’air de n’être pas trop mal en point. Apparemment, la dame était là pour y soigner des problèmes de gorge, m’a dit maman, avec un doigt sur la bouche. En tout cas, elle la trouvait bien gentille. C’était ça, le plus important. Car, faut-il te dire, qu’alitée à l’urgence pendant deux jours de suite, elle avait eu à s’accoutumer à quelques « cas » pas faciles.

De jeudi à dimanche, elle filait une certaine quiétude, se laissant soigner, examiner, évaluer, tester, voire même dorloter … Enfin, elle pouvait se reposer! Peu à peu, elle s’était remise tranquillement à marcher, à tout le moins pour se rendre aux toilettes, puis à s’asseoir et se lever de son fauteuil. Je la promenais en chaise roulante dans les corridors. Je l’amenais faire un petit tour à la cafétéria, d’où il était possible de sortir à l’extérieur, sur la terrasse.

Puis soudain, dans l’après-midi de dimanche, la foudre est tombée en plein milieu de notre optimisme sans que personne n’ait eu le temps, ni de voir l’éclair ni d’entendre le tonnerre. Seule dans sa chambre, maman était assise derrière le rideau tiré. Sa voisine de lit n’était plus là. Paraît-il qu’on l’avait déplacée à l’étage inférieur.

Au début, je n’ai pas remarqué le petit écriteau familier près de la porte de la chambre 243. Il y en avait tellement partout, près des portes de chambres de tous les étages, qu’on finissait par ne plus les voir. Je savais bien qu’on affichait souvent cet écriteau afin d’avertir les gens, personnel et visiteurs, de faire attention aux infections. Mais quelles infections au juste? Lorsque qu’on visite nos malades, on ne s’arrête pas toujours pour savoir ce qui se passe ici et là, dans l’hôpital.

Tout ça pour te dire, que ce dimanche-là, maman était en iso! Iso pour ISOLEMENT, mon amie!

À toi pour toujours,
May West

CHAPITRE 5

Une civière pour les os usés

Parlant d’infirmière, mon amie, le lendemain, maman m’a demandé d’appeler Une Telle qui venait régulièrement la voir pour ses prises de sang. Pas facile à rejoindre, l'infirmière du CLSC local est souvent sur la route. Elle m’a donc rappelé au début de l’après-midi.

Après lui avoir expliqué brièvement l’aller-retour à l’urgence dans la nuit de l’avant-veille, je lui ai demandé ce qu’elle ferait à ma place. Elle a aussi parlé à maman. « Mon Dieu, comment ont-ils pu la laisser sortir dans un état pareil? En tout cas, si c’était ma propre mère, je la rentrerais de nouveau à l’urgence cet après-midi même. Et j’insisterais pour qu’on la garde! », m’a-t-elle conseillé avant se quitter. Ouais! Mais elle, c’était une infirmière; elle connaissait la musique pas mal mieux que moi. Enfin!

Mon amie, ce feuilleton aura-t-il une fin avant qu’il ne te fasse mourir d’ennui? Toujours est-il que, peu importe la manière, j’ai beau changer de gants blancs souvent, ils se salissent au fur et à mesure que je te déballe la triste réalité de ce cauchemar. Le plus étonnant, c’est que je ne t’invente rien.

Malgré son poids (52kg\114 livres), sa petite taille (à peine 5 pieds), ma bonne volonté et surtout, hélas! mon manque flagrant de compétence, maman était un poids lourd, médicalement parlant, bien sûr.

Or l’objectivité du personnel médical d’un hôpital semble varier selon … le temps qu’il fait, mon amie. La nuit précédente, maman avait été diagnostiquée assez bien pour s’en aller chez elle, et voilà qu’à peine quelques heures plus tard, un autre médecin déclarait à haute voix devant nous qu’elle n’aurait jamais dû quitter l’hôpital.

Imagines-tu, toute la fatigue et le stress, que ces transports (qui n’ont rien de commun, n’est-ce-pas …!), dans le grand brouhaha de cet enfer, ont accumulé sur les frêles épaules de cette pauvre femme?

Pas étonnant qu’elle s’en soit plainte, une fois admise et soulagée, enfin, d’avoir un lit. Ne serait-ce qu’une civière où étendre ses vieux os usés. Dis-moi, mon amie, n'est-ce-pas que ce jeu de mots a dans les circonstances, toute la résonance d’un torrent de larmes qu'on n'en finit plus de recycler?
Maman est reconnue pour son moral de plomb, j’ai senti ce plomb qui commençait à fondre dans son aile. Et si tu crois que son calvaire tirait à sa fin, mon amie, il te faudra prendre ton mal en patience.
À toi pour toujours,
May West

2006-08-01

CHAPITRE 4

Trois rescapées

Je sais, mon amie, je suis très mal faite, comme on dit souvent. Sans vraiment réfléchir, j’avais donc pris la décision de prendre soin de maman de façon désintéressée, tout le temps qu’il le fallait en attendant je ne sais trop quoi, sans rien attendre d’elle en retour, ni biens personnels ni héritage. Même si elle en avait eus! Va donc, toi, tenter d’expliquer ça aux gens égoïstes, individualistes, avides et cupides …!

C’est que, et je ne saurais te dire pourquoi, j’ai pitié de toutes ces femmes âgées, faibles ou malades, sans instruction, sans défense, qui dépendent de la pension du gouvernement fédéral, donc vivant sous le seuil de la pauvreté, à la merci de tous les technocrates, empathiques ou non, et surtout de tous les profiteurs, y compris leurs propres enfants. Ces femmes, j’espère qu’elles passeront, sans escale par le purgatoire, directement de cette terre au paradis. N’est-ce pas le cas de maman?

Ce matin-là, ma sœur montait devant, et moi derrière. Entre nous deux, maman grimpait péniblement, une à une, en cherchant son énergie à chacune des 21 marches qui menaient à mon appartement. Laisse-moi te dire que nous n’étions pas fâchées, lorsque nous avons enfin refermé la porte derrière nous. Nous avions l’air d’un équipage, qui après avoir essuyé une grosse tempête en mer débarquait d’un bateau qui rentre au port.

Une fois après avoir repris notre souffle et retrouvé nos sens, puis s’être un peu réconfortées mutuellement l’une l’autre, j’ai finalement installé maman dans ma chambre. J'ai bien sûr vérifié aussi le cathéter qu’on lui avait fixé sur la cuisse. Quant à ma sœur et moi, on a fini par s’endormir toutes les deux dans le salon. Il était 9 h, lorsque la vie, ce jour-là, a repris son cours.

Ah! mon Dieu, mais oui, les antibiotiques! En vacances, l’autre de mes sœurs, Lorraine, s'est portée volontaire pour aller à la pharmacie. À son retour, nous avons appris que les antibiotiques prescrits par le médecin de garde, à l’urgence, n’étaient pas compatibles, avec trois des médicaments que prenait déjà maman, dont son Coumadin. En clair, cela signifiait que cet antibiotique aurait donc pu la TUER …!

Or, tous les pharmaciens de cette pharmacie, située juste à proximité de sa résidence, connaissaient maman (et son dossier de médicaments) comme Barrabas dans La Passion! Paraît-il qu'ils ont dû consulter son médecin de famille afin que ce dernier lui prescrive un autre antibiotique.

C'est alors que plusieurs questions ont brusquement surgi dans mon esprit. D’abord, jusqu’à quel point le médecin de garde, à l’urgence, cette nuit-là, avait-il erré en laissant sortir une vieille dame de quatre-vingt-cinq ans aussi souffrante? Puis, pire encore, comment avait-il pu ainsi se tromper en prescrivant des antibiotiques inadéquats, alors qu’en nous présentant à l’urgence la veille avec elle, nous avions remis la liste complète de tous ses médicaments?

Des erreurs médicales, il s’en produit tous les jours. Tout le monde sait ça. D’ailleurs, s’il y a un milieu, où la devise devrait se lire comme suit : « L’erreur est humaine et celle d'un médecin peut être fatale », c’est bien le milieu médical, en général, mon amie. J’étais très choquée de l’éthique de ce médecin, en particulier.

Mais comment pouvais-je blâmer tout un hôpital, vu que j’avais été fort impressionnée quelques années auparavant, alors qu’au même endroit, on avait sauvé maman d'une mort certaine? Mais tu comprendras, mon amie, que j’avais bien d’autres préoccupations, plus accaparantes et plus pressantes, que de chercher vainement des réponses à mes questions. Je remettais donc tout ça à plus tard.

D’abord, seulement la gérance des médicaments de maman devenait, d’événement en événement, tellement difficile, voire même complexe, qu’il m’aurait fallu suivre des cours du soir pour m’y comprendre. À tout le moins, j'ai commencé par établir une liste afin de ne rien oublier.Puis, il y avait bien sûr son fameux cathéter-cuisse (de jour) que je devais surveiller de sorte qu’il ne refoule pas dans la sonde. L’infirmière avait eu beau m’avoir expliqué le principe de celui de nuit, j’avais des papillons dans l’estomac rien qu’à penser que j’aurais à le faire le soir même. Durant la journée, j'ai donc examiné attentivement son mécanisme en parcourant les instructions. J’apprends toujours plus vite par moi-même.

Enfin, il fallait aussi que je m’occupe, entre autres, de lui faire à manger et de faire sa toilette. J’avoue que sa visite éclair à l’urgence, la nuit précédente, n’avait rien changé du tout à ses douleurs. Elle avait toujours la même difficulté à se mouvoir et souffrait autant que la journée précédente. D’ailleurs, comme elle ne voulait plus dormir dans mon lit, ne pouvant plus en sortir par elle-même, elle avait essayé de dormir sur mon divan dans le salon, pour finir la nuit carrément assise dans un fauteuil. Bref, je ne savais plus quoi faire avec elle.

Pour la laver, par exemple, elle me suppliait d’y aller doucement tellement sa peau lui faisait mal. Il a fallu que je m'y prenne avec les serviettes et débarbouillettes les plus douces que j’ai pu trouver dans ma lingerie. Pendant que je lui essuyais délicatement le dos et les bras, (mon Dieu, qu’elle avait maigri …!), elle m’a dit : « Tu aurais fait une bonne infirmière, ma fille! »
En effet, depuis longtemps, maman avait toujours rêvé que je devienne infirmière. Consciente ou non, aurait-elle présagé que je prenne soin d’elle dans ses vieux jours? On ne sait jamais avec les vieilles personnes de sa génération. Mais n’avait-elle pas également toujours eu une sorte de fascination pour les uniformes? En tout cas, dans son temps, quand c’était les sœurs … Si tu savais comme elle est scandalisée, aujourd’hui, de voir ainsi le personnel des hôpitaux porter des jeans et des espadrilles …?

À toi pour toujours,
May West

2006-07-31

CHAPITRE 3

Dans la nuit blafarde

Mon amie, lorsqu’on se sent impuissant devant la fatalité, ou soit qu’on se mette à crier ou à se plaindre, ou soit qu’on se taise. Ma sœur et moi n’avions pas le choix. Toute discussion un tant soit peu animée avec le médecin ou l’infirmière n’aurait pas servi à grand chose, sinon qu’à bouleverser maman davantage. Alors, on l’a installée tant bien que mal dans un fauteuil roulant, puis, je me suis empressée aussitôt d’aller chercher ma voiture dans le stationnement situé juste à proximité de l’urgence.

Il était plus de 4 h du matin. Déjà de faibles lueurs annonçaient vaguement le lever du jour prochain. En plus de la brume qu’il faisait à cette heure, l’humidité était omniprésente. Sous une lumière blafarde, ma sœur attendait avec maman enveloppée dans un drap d’hôpital, près de la porte de sortie de l’urgence.

Dans le stationnement, j’ai aussitôt démarré ma voiture, actionné les essuie-glaces, puis tourné le thermostat afin de faire sécher toute l’eau qui ruisselait sur mes vitres et mon pare-brise. Lorsque je suis arrivée près de la barrière, ah! merde de c …! je n’avais pas de jeton pour la faire lever! Après tous ces émois, j’avais oublié de payer en sortant de l’hôpital. Sentant la patience me lâcher, j’ai laissé ma voiture entre les balises de ciment de la sortie et je suis rapidement retournée sur mes pas. Au passage, j’ai prié ma sœur et maman de ne pas s’inquiéter et que je viendrais les chercher dans une minute.

Puis, après être remontée dans ma voiture serrant le précieux jeton entre mes doigts, je me suis mise à chercher pendant quelques secondes l’endroit précis où le déposer. Comme la boîte était noire, on ne voyait bien, en fait, qu’un petit rectangle lumineux où c’était écrit : « TOKEN ». J’ai alors appuyé le jeton en position verticale directement dessus. Je croyais que placé ainsi, il finirait par tomber à l’intérieur en le poussant avec mon pouce.

Erreur! Le jeton s’étant coincé-là refusait absolument de bouger, comme si un aimant l’avait aspiré pour l’empêcher de sortir. Rien à faire. Ni avec mes doigts ni avec ma clé de voiture. J’étais en nage. Puis, tout à coup, ne voilà-t-il pas que j’aperçois juste à côté à gauche, la fente dans laquelle, j’aurais dû l’avoir glissé depuis le début! L’obscurité sans doute m’avait empêchée de la voir. Justement, comme par hasard, les lueurs du jour commençaient à se faire de plus en plus insistantes.

Enfin, réalisant dans quel pétrin, je m’étais placée, je me morfondais en regardant ma sœur et maman qui devaient se languir d’impatience là-bas, devant la porte de l’urgence sous la lumière blafarde. Puis, mes yeux se sont finalement posé sur un petit bouton noir situé juste en dessous d’un microphone. Je l’ai donc poussé machinalement. Aussitôt, la machine s’est à cracher une voix nasillarde aux accents métalliques : « Vous avez des problèmes ? »

Je ne me souviens pas, mon amie, en quels termes j’ai expliqué au préposé la nature du problème que j’avais, mais, je me rappelle très bien lui avoir dit d’ouvrir cette barrière au plus vite, sinon je l’enfoncerais avec ma voiture. « Ne faites pas ça, madame, vous allez être enregistrée par la sécurité de l’hôpital. » Faut-il te dire, mon amie, que je n’avais pas envie d’entendre ce genre de propos à ce moment-là? « Je m’en fiche éperdument de votre sécurité. Puis de la police. Puis de l’armée aussi, mon cher monsieur…! », lui ai-je répondu avant d’engager brusquement ma voiture en marche arrière.

Dans mon désarroi, j’ai à peine entendu qu’il enverrait quelqu’un sur place. J’avais la tête en feu. Or, j’ai eu la folle idée de faire le tour du stationnement à toute vitesse pour y chercher à tout prix, une issue. Un bout de chaîne un plus basse ou complètement affaissée, un petit espace de rien du tout et de n’importe quoi, bref, enfin, que sais-je, un endroit par où j’espérais pouvoir me sortir de là, évidemment, sans trop endommager ma voiture. Et tout cela, bien sûr, avant que je ne saute une coche, mon amie!

Hélas! prise au piège comme une lionne en cage, je suis donc revenue complètement découragée vers la barrière. Enfin, à l’aide d’un tournevis, le préposé était là, devant moi, en train d’essayer de sortir mon jeton. Coincé, lui aussi, dans l’affreux piège de cette nuit infernale. « S’il y avait eu un peu d’éclairage ici, je l’aurais vu votre fente! », lui ai dis-je, en sortant de là, dans un état que je n’ose même pas te décrire. Il était cinq heures moins vingt ...
È toi pour toujours,
May West

2006-07-30

CHAPITRE 2

Le zoo

Autant te dire tout de suite, que ce n’était pas la première fois que, dernièrement, maman était transportée d’urgence à l’hôpital. Elle y avait passé plusieurs jours quelques semaines auparavant afin d’y soigner des douleurs aiguës causées par des vertèbres brisées, à la suite d’une vilaine chute l’hiver dernier.

Toujours est-il, que ce soir-là, l’ambulance était déjà repartie lorsque je suis arrivée moi-même à l’hôpital. Ma sœur Diane, que j’avais rejointe un peu plus tôt au téléphone, m’attendait dans la salle des urgences générales. Maman, elle, était couchée sur une civière dans un cubicule.

Deux infirmières s’affairaient autour d’elle. Plus tard, le médecin de garde ayant établi le diagnostic d’une infection urinaire, lui prescrit aussitôt des prises de sang et lui fit installer un cathéter.

Pendant ce temps, ma sœur et moi attendions dans le couloir adjacent à la salle. À cette heure tardive de la nuit, il y régnait une atmosphère étrangement calme. Dans ce couloir sombre, on pouvait voir plusieurs civières inoccupées bien alignées les unes derrière les autres le long du mur. Pour te dire la vérité, cela ne correspondait pas tout à fait à l’image chaotique, voire même apocalyptique des nombreuses « alertes aux urgences bondées» qu’on nous décrit parfois dans les médias.

Les minutes s’égrenaient à la vitesse record … du temps-mort. Entre 1h et 4h, j’ai dû faire cent fois les mille pas et mille fois les mêmes pas, tantôt dans la salle calme, où trois ou quatre autres patients dormaient et ronflaient, tantôt dans le couloir sombre et vide.

Entre-temps, était-ce une infirmière ou une préposée qui, accoudée sur le comptoir, cognait des clous au poste des infirmières? Que veux-tu, mon amie, le temps vient long, la nuit, dans une salle d’urgences générales aussi désespérément paisible que celle-là!

Or, pendant tout ce temps à attendre les résultats des prises de sang, puis le rapport du médecin de garde, et à marcher afin de nous tenir éveillées, on espérait toujours, ma sœur et moi, qu’on allait garder notre pauvre mère le reste de la nuit, à tout le moins jusqu’au lendemain. Pas du tout, mon amie. D’ailleurs, je te préviens qu’il est possible que certains faits risquent ici de te choquer.

Enfin, bien qu’on lui ait expliqué que la bénéficiaire, en l’occurrence une personne de quatre-vingt cinq ans qui vivait seule dans un petit appartement d’une résidence dépourvue d’ascenseur, le médecin de garde, cette nuit-là, devait avoir d’autres préoccupations en tête, mon amie. Car après quelques tests et sans avoir vraiment pris le temps de vérifier, ni son dossier ni la liste de ses médicaments, il a décidé froidement de renvoyer maman, équipée de son cathéter et toujours souffrante, à la maison. Bref, je ne me souviens pas qu’il lui ait même administré un calmant avant de quitter l’hôpital.

Évidemment, cette décision lourde de conséquence a certes été prise essentiellement pour des motifs financiers et technocratiques. Les critères et la procédure impose régulièrement des décisions aussi catégoriques.

Maman a beau avoir sept vies comme la plupart des chats de ce grand cirque de la vie, mais la zoomanité ici m’apparaissait dans toute son horreur, mon amie …! En tout cas, peu importe, à cette heure-là du matin, il n’était pas question que maman s’en retourne chez elle. Or, puisque je me voyais pour un temps indéterminé dans l’obligation d’en prendre soin moi-même, il valait mieux que je l’amène chez moi.

Alors, à 4 h, ce matin-là, fatiguée et complètement découragée, voilà que j’ai eu le privilège d’assister aux frais de l’État à mon premier cours de techniques infirmières : Comment vider le sac d’un cathéter … ! Puis, grâce à la grande générosité du Système, l’infirmière, avec son plus charmant sourire, est venue me remettre en mains propres, dans un petit sac de papier brun, le kit complet nécessaire à la bonne manipulation de ce cathéter …

Big deal!

Ah! ce n’est pas tout. J’allais oublier les deux petits feuillets blancs si familiers. C’étaient les deux ordonnances du médecin de garde. La première pour un rendez-vous, le vendredi suivant, avec un urologue en clinique externe, et l’autre pour des antibiotiques, dont on se reparlera, mon amie.

Maman! C’est pas fini …!

À toi pour toujours
May West

2006-07-29

CHAPITRE 1

Les grandes manoeuvres

Mon amie, maman ne rajeunit pas. Et sa santé se détériore à un rythme d’enfer depuis quelque temps. À un point tel, que j’ai l’impression qu’elle s’en va ... Où? Je ne saurais te dire pour l’instant.

Certes, la combattante commence à battre en retraite. Je la sens baisser pavillon même si je suis convaincue qu’elle n’a pas encore tout à fait baissé les bras. De jour en jour, de semaine en semaine, elle abdique un petit peu pour ceci, un petit peu devant cela, sans pour autant abandonner complètement tout. Bref, c’est la valse des grandes manœuvres. L’issue de ce combat à venir ne sera plus désormais qu’une question de temps. Puis-je te dire, mon amie, que j’angoisse déjà à l’idée de sa longueur, car Dieu seul en connaît la fin.
Un soir, cette semaine, alors qu’après un long moment à chercher le sommeil, voilà que le téléphone a sonné sur ma table de chevet. Il était minuit moins quart. «Votre mère n’est pas bien du tout» m’a-t-on dit au bout du fil. En fait, je l’avais quittée en fin d’après-midi après avoir passé la journée à la promener aux alentours; je la croyais alors encore capable ...
Or, quand je suis arrivée chez-elle quelques minutes plus tard, elle avait peine à marcher, à s’asseoir et à se lever. La trouvant dans cet état pitoyable, j’ai alors fait le 911 sur le champ. Bien sûr, il n’est pas évident pour une femme de son âge et de sa génération de faire confiance à des femmes, aussi costaudes et « charpentées » soient-elles, pour transporter ainsi les personnes souffrantes. D’ailleurs, habituées à cette clientèle familière, les deux jeunes ambulancières n’ont pas tardé pas à la rassurer.

Déballant leur lourd matériel sur le tapis du salon, après quelques questions et un bref examen d’usage, elles l’ont enfin installée délicatement sur la chaise-civière, après l’avoir enveloppée d’une couverture et bien verrouillé les sangles. Ce n’est qu’une fois descendues les marches de l’escalier de sa résidence avec leur fragile fardeau, qu’elles l’ont finalement étendue avec mille et une précautions sur la civière avant de la glisser dans le ventre du lourd véhicule.

Mon amie, pendant tout ce branle-bas, j’ai cru avoir entendu maman s’excuser auprès de ses porteuses de les avoir dérangées ainsi en plein milieu de la nuit. Et, leur dire aussi comme elle était désolée de leur donner autant de mal. Pour ton information, maman ne pèse plus que 52 kilos/114 livres. Paraît-il que, cette nuit-là, elle aura été leur première « passagère ».
À toi pour toujours,
May West